Singulier dé/cadrage du quotidien













Stores
« Stores 6 » a été sélectionné par le MoMA de San Francisco dans le cadre des Friday Submissions du 4 avril 2014 sur Tumblr.

H

Figuier

Depuis quelques années, je m’intéresse à l’esthétique du territoire dans lequel je vis. En l’occurrence, une zone en bord de Dordogne constituée essentiellement d’un bourg, de lotissements d’habitations, d’exploitations agricoles et viticoles et de zones commerciales et industrielles. Cette préoccupation se matérialise dans une série intitulée « Parcelles » et qui se compose principalement de dessins noir & blanc et de peintures sur toile.
Dans l’espace public, à pied ou en voiture, je suis dans la rue, sur un chemin, sur une route, en quête d’un ou plusieurs signes visuels qui feraient sens et seraient un point de mire sur l’identité du lieu.
Qu’est-ce que je vois ?
Des façades, des propriétés privées, des habitations anciennes ou plus ou moins récentes, des hangars, des bâtiments agricoles… Bien souvent, ces espaces sont séparés de l’espace public par un mur, une clôture, ou une haie qui suivent sans doute scrupuleusement le plan cadastral. Cette limite est à priori à ne pas franchir à moins d’y être invité. Mais rien ne m’empêche d’observer et la vision frontale et parcellaire qui s’offre à moi m’intéresse.
Après une immersion quasi quotidienne un déclic s’opère sur un point focal. Des éléments d’architecture et d’aménagement paysager ou au contraire de friche où le végétal se répand, s’imposent alors à mon regard. Le travail commence par une prise de vue photographique. Un premier cadrage intervient, plus ou moins précis et réfléchi, souvent à la va-vite, comme une note ou un croquis. La photo de ce fragment de paysage me permet une interprétation dessinée et/ou peinte à postériori. Influencé par la lecture de Georges Perec, je cherche à regarder et représenter le quotidien. Je ne me limite pas à la production d’un rapport exhaustif et fidèle de ce qui est sous mes yeux. Le cadrage initial de la photo est modifié. Par préemption de l’iconographie des plans d’architecture, je privilégie un espace en deux dimensions avec peu ou pas de profondeur. Certains détails sont supprimés. D’autres détails sont extraits des images initiales ce qui parfois entraîne jusqu’au déplacement du sujet de l’image produite vers un motif abstrait.
Le dessin est réalisé en noir et blanc sur fond blanc. J’utilise le plus souvent des stylos tubulaires normalisés à l’encre noire sur papier. Ces outils, conçus initialement pour la réalisation de plans d’architecture, permettent l’obtention d’un trait parfaitement régulier et proposent une gradation de la largeur du trait. J’obtiens une unité quant à la qualité du trait entre les dessins. Seul le geste ou le papier offrent une variation possible (maîtrisée dans le cas du geste, aléatoire dans le cas du papier). Ces dessins mettent en évidence des détails, des textures, des surfaces. Comme souvent dans mes travaux la répétition des points et lignes, comme un zoom sur la matière, peut tendre vers la création d’un motif répétable à l’infini hors du cadre de la feuille de papier.
Dans le travail de peinture, la couleur et le dialogue entre motifs abstraits ou à la limite de l’abstraction prennent une place prépondérante. Le travail se situe dans une exploitation de la planéité de la toile par les surfaces, dans les rapports de teintes, saturation et luminosité entre les couleurs, en s’affranchissant de tout réalisme. Les motifs deviennent alors des codes iconiques vecteurs d’expérimentations qui me rapprochent notamment de Claude Viallat lorsqu’il adopte l’utilisation d’une empreinte en la répétant et qu’il qualifie sa peinture d’ « image d’un travail ». Par la succession de juxtapositions des surfaces et des formes, de superpositions de teintes transparentes et opaques, de variation de l’échelle du motif, tout en étant économe dans les moyens mis en œuvres, j’essaie de saisir des couleurs qui communiquent entre elles de façon à la fois très contrastée et subtile, apaisée et éclatante, vibrante et douce. Le regard se perd dans la composition, qui reste cependant sobre, comme aspiré par le déploiement du motif et de la couleur.
Par l’intermédiaire de ces deux vocabulaires plastiques, je propose une interprétation du point focal qui génère une sorte d’épure du trait-saillant faisant à mes yeux l’identité du lieu. Le dessin ou la peinture génèrent « une émotion particulière » chère à Francis Hallé lorsqu’il explique son choix du dessin dans son travail de botaniste. Cette émotion qui se fixe dans le support rapproche mon travail de la poésie – au sens premier de travail sur la forme expressive.
Je m’approprie, crée, recrée une identité visuelle associée aux lieux visités qui propose à chacun un chemin pour « interroger ce qui semble avoir cessé à jamais de nous étonner » (G. Perec).
Jérôme Rouchon
Parcelle évolutive de mots-clefs :
Propriété,
Clôture, Haie,
Devant, Derrière, Au-dessus, En-dessous,
Limite, Délimité, Frontière,
Privé, Résidence,
Thuyas, Arbre, Arbuste, Taillé,
Entretenu,
Caché, Obturé, Secret, Gardé, Camouflé,
Terrain, Maison, Façade,
Grille, Grillage, Grillagé,
Mur, En-muré,
Toits, Tuile, Couverture
Végétal, Végétation,
Piquets,
Embelli, Décoré,
Crépis, Brique, Parpaing, Moellon,
Voisin,
Extérieur, Intérieur,
Imbriqué, Mêlé, Croisé, Aligné, Superposé, Doublé
Côté, A côté, De biais,
Pré-carré, Intimité,
Protégé, Sécurité, Danger, Interdit, Abrité, Isolé
Fermé, Enfermé, Réservé,
Différent, Canisse, Béton,
Synthétique, Plastique,
Herbe, Gazon
…
Vues d’atelier
