[Dessin] Vigne

La substance d’une étrange complexité

Le raisin, les vrilles, les feuilles

Le territoire dans lequel je vis est notamment constitué d’exploitations viticoles. Les vignobles constituent
une partie du paysage en bordure des routes et chemins. L’alignement répété des pieds de vignes disposé en rangs parfaits sur de grandes étendues tels des bataillons en apparat ne cesse d’interpeler mon regard. Aux abords des vignobles, certains ceps que le viticulteur a déracinés sont laissés à l’abandon ou en attente d’être stockés pour être ensuite réutilisés pour leur bois. Le pied de vigne est alors figé dans son épanouissement.
Ce stade m’intéresse particulièrement car la plante laisse à voir la multitude d’étapes de sa croissance et les divers parasites qui se sont peu à peu installés (mousses, lichens, moisissures). Les tailles successives, les éventuelles gélivures, les liens qui assujettissent au tuteur, ont provoqué des entrelacs, des courbes, des yeux laissés par le sécateur, des ruptures de rythme dans la forme de la plante. L’écorce diffuse une vibration rustique et chaotique, c’est un amas de matière rugueuse, à la fois compacte et, semble-t-il, fragile et désorganisée telle une terre dé-séchée par l’exposition au soleil. Les sarments et les vrilles qui surgissent de cette structure me donnent au contraire une impression de légèreté, d’élégance aérienne. Ma volonté est de retranscrire la substance de cette étrange complexité. « Souvent, la ressemblance n’est qu’une soumission à l’image d’une apparence colporté, de manière vague mais insistante, par la culture de masse ou l’académisme. » H. Cueco (« Le journal d’une pomme de terre »). Contrairement à d’autres séries dont le processus de création implique une étape photographique, je travaille d’après nature. En cela, je fournis un travail qui s’apparente à une étude documentaire tout en me préservant d’un objectif d’exactitude. Je travaille dans mon atelier en extrayant le pied de vigne de son contexte et en le plaçant sur un fond neutre. Le sujet est alors complètement isolé des piquets, herbes, pierres, qui viendraient perturber la lecture.
Le dessin est réalisé en noir et blanc sur fond blanc. J’utilise le plus souvent des stylos tubulaires normalisés à l’encre noire sur papier. Ces outils, conçus initialement pour la réalisation de plans d’architecture, permettent l’obtention d’un trait parfaitement régulier et proposent une gradation de la largeur du trait. Ceci me permet d’obtenir une unité quant à la qualité du trait entre les dessins. Seul le geste ou le papier offrent une variation possible (maîtrisée dans le cas du geste, aléatoire dans le cas du papier). Ces dessins mettent en évidence des détails qui constituent la structure du bois. Comme souvent dans mes travaux la répétition des points et lignes qui représentent l’écorce, comme un zoom sur la matière, peut tendre vers la création d’un motif abstrait répétable à l’infini hors du cadre de la feuille de papier.
Des résidus de feuilles, poussières, particules d’écorce, grains de sable se déposent sur le sol lors des manipulations du cep à l’atelier. Ces éléments minuscules et volatils constituent eux aussi un sujet intéressant pour ma pratique du dessin qui tend vers une économie de moyens, une exploitation du détail, une captation du plus petit composant. Je suis dans ce cas amené à utiliser le point comme ultime signe graphique.
Sur des formats plus grands, le travail au fusain – outil lui-même issu du bois – ouvre une porte vers une expression beaucoup plus ample et spontanée du point de vue de la gestuelle. Ceci est propice à la représentation de la forme très dynamique du pied de vigne. Les développements entrelacés de la plante occasionnent des ombres retranscrites par les noirs très profonds du charbon permettant de forts contrastes avec la lumière. Le changement d’échelle impose une présence et peut perdre le regard dans un chaos de lignes entrecroisées de densité et opacité variées. Le passage au grand format ouvre des perspectives vers une extension futur du dessin hors du format imposé par le papier, vers l’espace du mur, du sol, pour un travail in-situ où les motifs du pied de vigne, de l’écorce, des particules, …, viendraient dialoguer avec un lieu pas ses aspects formels mais aussi avec l’histoire ou la fonction (imaginons un musée dédié à la vigne) de ce lieu et par extension de son territoire et ses habitants.
Par la répétition du même sujet, je me sens proche de la méthode de F. Ponge lorsque qu’il énonce : « En revenir toujours à l’objet lui-même, à ce qu’il a de brut et différent : différent en particulier de ce que j’ai déjà écrit de lui. » Les images produites ne prétendent pas à un rendu exacte et complet qui serai illusoire mais à appréhender l’histoire du pied de vigne représenté, ce qu’il nous montre. Et, via le processus rationnel de l’étude documentaire, je cherche par l’intermédiaire du dessin à provoquer une émotion irrationnelle, un ressenti propre à chacun qui va au-delà d’une description objective. En cela, cette série fait écho au savoir-faire inhérent au travail de la vigne, son entretien rythmé et méticuleux, le respect de la plante et du terrain ainsi que son inscription dans un territoire pour obtenir in-fine un produit de qualité qui n’a d’autre vocation que de générer une émotion chez celui qui le consomme.








Télécharger au format PDF le catalogue des dessins à la vente en tant en cliquant ici

Some drawings are to sold. Please download the PDF book (english version) or contact me if your are interesting to purchase an original drawing or reproduction rights.


Tagged , , , , , , , , .